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Homme ne désira cette pourpre enchantée
Qui frémit sur la lèvre en fleur de Galatée.
Il aimait à tel point, lui, qu’il en maigrissait,
Comment la guérison arriva, Dieu le sait.
  Ce fut d’abord un soir, sous une allée ombreuse :
Judith lui confia qu’elle était malheureuse,
Que sa petite amie aimait un monsieur brun,
Et qu’elle voudrait bien aimer aussi quelqu’un.
Notez que ce jeune homme avait deux noirs complices
De son naissant amour, oui, deux moustaches lisses
Comme une aile de cygne, et qu’il était rempli
De politesse ; enfin un jeune homme accompli.
Prosper lui répliqua : Moi, je n’ai pas encore
De moustaches ; mais, vois, ma lèvre se colore,
Et j’en aurai bientôt. Si tu veux me laisser
T’aimer, sois ma chère âme, et je vais t’embrasser.
  Or, Judith objecta qu’elle avait eu la fièvre,
Que les baisers laissaient des traces sur la lèvre,
Et se mit en colère avec sa douce voix,
Si bien que son cousin l’embrassa quatre fois.
Puis elle n’osa plus se fâcher, dans la crainte
D’être embrassée encor. Voyez quelle contrainte !
Les choses allaient donc au mieux. S’il n’eût fallu
Rentrer pour le souper, tu ne m’aurais pas lu
Davantage. Le cœur de Prosper se dilate,
Et la fillette semble une rose écarlate.
Le pater Anchises, qui commence à souffrir
D’une superbe faim, a crié d’accourir,