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La Grandeur et l’Amour, et de mille rayons
Enveloppant déjà tout ce que nous voyons.
Dans son rêve, planant au loin sur les rivages,
Il aperçut, auprès des Bacchantes sauvages,
S’acharnant sur leur proie ainsi que des bourreaux,
Le fleuve ensanglanté par le chaste héros.
Puis, y voyant gémir sur leur divin trophée
Les surs de l’Harmonie et la mère d’Orphée,
Il regarda le monde, et, sachant dans son cœur
Les secrets oubliés du lyrisme vainqueur,
S’écria, plein déjà du céleste délire :
Je serai l’Harmonie et je serai la Lyre !
Et, sans faiblir après sous ce sublime effort,
Il dit aux fronts courbés, se sentant assez fort
Pour ourdir à son tour quelque sublime trame :
Je serai l’Épopée et je serai le Drame !
   Il se leva sur nous. Et l’homme triomphant
Tint si bien ce qu’au monde avait promis l’enfant,
Que le vieillard pensif dont la jeune Amérique
Se souviendra, lui dit d’une voix homérique :
Vous êtes l’avenir et je suis le passé !
Et que, dernier de tous, il a tout surpassé.
Lui seul, faisant saillir dans tout problème sombre
L’ombre par le rayon et le rayon par l’ombre,
À fait briller à flots sur nos illusions
L’immuable clarté faite de trois rayons,
Trinité solennelle à nos yeux apparue,
Triple aspect du foyer, du champ et de la rue.