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C’est comme un zéphyr calme, ou comme un sylphe ailé
Qui caresserait l’âme. Et rien n’eût égalé
Ce beau théâtre empli d’une âme singulière,
Si nous n’avions pas eu l’autre flambeau : Molière !
   Car leur Muse à tous deux était la même enfant,
Jetant au ridicule un regard triomphant,
Ayant la liberté d’une fille espagnole,
Un éclair dans les yeux comme dans la parole,
Pourtant fière et naïve, et trouvant quelquefois
Un mot mystérieux et voilé dans sa voix,
Comme en leur soleil d’or l’Armorique ou l’Irlande
Ont des brouillards pensifs couchés sur une lande.
Elle qui, le sein nu, par les coteaux voisins,
Tordait sur ses cheveux la vigne et les raisins,
à présent soucieuse au désert où nous sommes,
Car tout son avenir était dans ces deux hommes,
Gémissait de les voir, par un effort uni,
S’user à découvrir le problème infini.
Car la science offerte aux cœurs des foules vaines
Est comme le sang pur échappé de nos veines,
Et ceux qui sur la scène ont répandu la leur,
En gardent pour toujours une étrange pâleur.
Quand tous deux effaçaient, délaissant leur royaume,
Lui le rouge d’Argan, lui le fard du fantôme,
Dieu savait chaque jour par quel changement prompt
Une ride nouvelle illuminait leur front.
Et la Muse pleurait sur leur métamorphose,
Elle essuyait ses pleurs de sa basquine rose,