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Quand on connaît vos surs, ces anges gracieux,
évoqués une nuit de l’enfer ou des cieux,
Miranda, Cléopâtre, Imogène, Ophélie,
Ces rêves éthérés que le même amour lie !
Quelle femme ici-bas ferait vibrer encor
Le cœur extasié par vos cithares d’or ?
   Mais ce qui le ravit dans une molle ivresse,
C’est ce théâtre bleu fait pour notre paresse,
D’où, comme le bon sens, la grave histoire a fui,
Et laisse le rêveur chanter son chant pour lui.
On n’y mesure pas les poisons à la pinte ;
Sans quinquets enfumés, ni ciel de toile peinte,
Mille gens plus pimpants qu’un sonnet de Ronsard,
En faisant des bons mots s’y croisent au hasard.
Là, des ruisseaux d’argent, dans des pays quelconques,
Versent leurs diamants aux marbres de leurs conques,
Des arabesques d’or se brodent sur les cieux ;
Les arbres sont d’un vert qui ferait mal aux yeux ;
Tout est très surprenant sans causer de surprises,
Et dans tout ce soleil on est baigné de brises.
Les héros vont partout sans y porter leurs pas,
Ne sont d’aucune époque et ne demeurent pas.
Les bouffons sont hardis comme des philosophes ;
Les femmes ont au corps les plus riches étoffes,
Des robes de brocart, de saphirs et d’oiseaux,
Souples comme une vague ou comme les roseaux ;
Des mantelets aurore ou bien couleur de lune
Jettent mille reflets sur leur épaule brune,