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Lui, créateur, à qui, sans craindre son effroi,
Dieu lui-même avait dit : Macbeth, tu seras roi !
Oh ! comme en se penchant sur cet univers sombre,
Où fourmillent ses fils et ses peuples sans nombre,
L’œil se baisse aussitôt et se ferme, ébloui
D’avoir vu rayonner dans cet antre inouï
Tant d’âmes de héros et tant de cœurs de femme,
Déchirés et tordus par l’orage du drame !
   Qui pourrait s’empêcher de craindre et de pâlir
Avec Cordélia, la fille du roi Lear,
Adorant, fille tendre, ainsi qu’une Antigone,
Son père en cheveux blancs, sans trône et sans couronne,
Parfum des derniers jours, pauvre Cordélia,
Seul et dernier trésor du roi qui l’oublia !
Qui, répétant tout bas les chansons d’Ophélie,
Ne retrouve des pleurs pour sa douce folie ?
Qui dans son cœur éteint n’entend sourdre un écho,
Et n’aime Juliette écoutant Roméo ?
Comme ces deux enfants, ces deux âmes jumelles
Que le premier amour caresse de ses ailes,
Aspirent en un jour tout un bonheur divin,
Et meurent, enivrés de ce généreux vin !
Juliette n’a pas quatorze ans ; c’est une âme
Enfantine, où l’amour brûle comme une flamme ;
Elle vient au balcon mêler dans chaque bruit
Les soupirs de son rêve aux cent voix de la nuit,
Si belle qu’on croirait sur son front diaphane
Voir le vivant rayon de la nymphe Diane,