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Sur eux, comme une houle, a passé l’univers ;
À peine si leurs noms surnagent sur leurs vers
Mais la grande pensée atteint avec son aile
Une aire énorme au haut d’une cime éternelle,
D’où ses mille rayons au monde épouvanté
Jettent l’intelligence et la fécondité.
   Le sang qui de son cœur s’écoule comme une onde,
À jeté son reflet de pourpre sur le monde.
Ainsi de ce sommet grandiose où nos yeux
Voient flamboyer son front à mi-chemin des cieux,
Shakespeare sur la terre a semé des poètes,
Ceux-ci remplis d’amour, et ceux-là de tempêtes.
Tout rêve, tout héros, vêtu de pourpre ou nu,
Dans sa vaste pensée est au fond contenu ;
Ainsi que Charlemagne il a tenu le globe,
Et pourrait emporter dans les plis de sa robe,
Avec leur pauvre lyre et leurs grands piédestaux,
Nos géants d’aujourd’hui drapés dans leurs manteaux.
Et s’il faisait un jour comparaître à sa barre
Les courtisans musqués de sa Muse barbare,
Comme de Henri quatre au sombre Richard trois,
Ses rois démasqueraient des fantômes de rois !
Eux seuls savent porter le sceptre et la couronne ;
Car il les portait bien, celui qui les leur donne,
Lui qui, les yeux remplis d’éclairs, et non content
De fouler sous ses pas un royaume éclatant,
S’élevait au-dessus de notre fange immonde,
Et dans un pays d’or se refaisait un monde !