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Tous adorent Homère et vers lui sont venus
Par le hardi chemin qu’ont touché ses pieds nus.
S’ils n’ont pas, comme lui, des cimes escarpées
Précipité le flot des larges épopées,
C’est que l’homme enfermé dans les champs et les murs,
Toujours courbé vers l’or ou vers les épis mûrs,
Et n’ayant plus d’amour pour les collines veuves,
Se trouva trop petit pour boire à ces grands fleuves.
   Alors pour nous fixer au monde où nous passions,
Vint le Drame vivant qui peint les passions,
Et sa riante sœur, la folle Comédie,
Qui jette sur nos murs la satire hardie.
Un masque sur le front, effroyable ou rieur,
Des chercheurs, attirés par l’homme intérieur,
Avec le dur scalpel vinrent déchirer l’âme
Et l’éclairer tremblante à leurs torches de flamme,
Soulevèrent du doigt l’enveloppe qui ment,
Surprirent le secret de chaque mouvement,
Et léguant devant tous leur étude profonde
À la postérité, cette voix qui féconde,
Chantèrent au soleil, harmonieux Memnons.
Mais par-dessus leurs voix et par-dessus leurs noms
Rayonnent sur la scène où leur souffle respire,
Le justicier Molière et le divin Shakespeare !
Deux sages, deux voyants brûlés du même feu,
Et qui sur notre monde ont laissé pour adieu
Mille créations palpitantes d’extases,
Dont le sein est vêtu de rêves et de gazes,