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Le conteur de la guerre effrayante, Lucain
Portant dans sa poitrine un cœur républicain,
Dante, sombre et vêtu de sa robe écarlate,
Tasse, Arioste enfant qui nous berce et nous flatte,
Camoëns tout mouillé par le flot de la mer,
Milton qui se souvient du ciel et de l’enfer,
Ô Muse ! tous ces rois, tous ces conteurs épiques,
Nés pour chanter les chocs des glaives et des piques,
Tous ces grands inspirés qui, même privés d’yeux,
Plongent dans l’insondable éther, et voient les Dieux
Et leurs palais qui dans la lumière se dorent,
Veillent, silencieux, près d’Homère et l’adorent ;
Car ils sont tous les fils de son glorieux sang.
   Ils sont même sortis de son robuste flanc,
Ceux-là qui, vendangeurs aux doigts tachés de lie,
Ont suivi Melpomène, ou la brune Thalie
Dont on craint le regard charmant et meurtrier :
Eschyle au vaste front couvert du noir laurier,
Dont le Mède a connu la bravoure intrépide,
Sophocle, et le charmeur des femmes, Euripide,
Et cet Aristophane irritable, au grand cœur,
Dont la colère chante avec les voix du chœur,
Ménandre, Plaute esclave, et le sage Térence,
Le vieux Corneille, honneur éternel de la France,
Et Racine qui prend les âmes, et Regnard,
Et La Fontaine encor sans égal dans son art,
Qui, dans son Iliade ingénue et subtile,
Fait du renard Thersite et du lion Achille.