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Et pâle, ses cheveux dénoués sur son flanc,
Touche enfin, mais trop tard, au rivage de sang.
Elle ne pleura pas, la mère douloureuse !
Mais regarda longtemps le flot que le flot creuse,
Et laissant retomber ses voiles, montra nu
Le chef-d’œuvre sacré de son corps inconnu.
C’en est fait, ce beau corps a roulé sous la vague,
Le fleuve soulevé pousse un murmure vague,
Fait briller son œil glauque, et, trois fois agité
De caresser dans l’ombre une divinité,
Cherche dans son transport une force nouvelle
Pour meurtrir follement cette chair immortelle.
Ivre, le vent gémit, et les arbres dans l’air
Font craquer sourdement leurs grands rameaux ; l’éclair
Enveloppe le ciel d’un sanglant crépuscule,
Et frissonnant, le jour s’épouvante et recule,
Et toute la Nature, émue en ce moment,
Jette de sa poitrine un long gémissement.
   Les hommes, effrayés et baissant la paupière,
Brûlent un encens pur dans leurs temples de pierre,
Jusqu’à ce que le ciel, en essuyant ses pleurs,
Déroule avec Iris l’écharpe aux sept couleurs,
Et que l’onde calmée où ce rayon s’argente
Couvre son dos uni d’une moire changeante.
Alors, le regard trouble et la bouche en sanglots,
La Muse reparaît sur l’écume des flots,
Non telle qu’autrefois Cypris, la vierge blonde,
Jaillit dans la clarté sur l’écume de l’onde,