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Muse ! tu sais comment, subjugué par ses vers,
Pluton qui règne, assis près des gouffres ouverts
Et des pics trop brûlés pour que l’herbe y verdisse,
Rendit au roi chanteur la tremblante Eurydice,
Et comment, ô douleur ! vaincu par son amour
Orphée, en arrivant presque aux portes du jour
Se retourna pour voir plus tôt la bien-aimée.
Elle s’évanouit en légère fumée.
La mort couvrait de nuit son visage riant,
Et, triste, elle appelait Orphée en s’enfuyant
Vers le gouffre béant et d’où sortaient des râles,
Tendant encor vers lui ses mains froides et pâles,
Et repassant déjà le fleuve au noir limon.
   Pendant sept mois entiers, sur les bords du Strymon,
Orphée en pleurs, de tous évitant les approches,
Dans les antres glacés vécut parmi les roches.
Parmi les durs frimas où fleurissent les lys
De l’âpre neige, aux bords glacés du Tanaïs
Il erra, savourant le funeste délice
De sa douleur, toujours chantant son Eurydice.
Les Ménades hurlant dans leurs terribles jeux,
L’aperçurent un jour du haut d’un mont neigeux.
Les tigres à ses pieds se couchaient pleins d’ivresse,
Et les chênes, suivant sa voix enchanteresse,
Venaient vers le divin poète en se mouvant.
L’une d’elles, sauvage et les cheveux au vent,
S’écria : Le voilà, celui qui nous méprise !
Et les cris furieux se mêlaient dans la brise,