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Ainsi pour de longs jours suspendons notre lyre ;
Aimons-nous ; oublions que nous avons su lire !
Que le vieux goût romain préside à nos repas !
Apprenons à nous deux comme il est bon de vivre,
Faisons nos plus doux chants et notre plus beau livre,
         Le livre que l’on n’écrit pas.

Tressaille mollement sous la main qui te flatte.
Quand le tendre lilas, le vert et l’écarlate,
L’azur délicieux, l’ivoire aux fiers dédains,
Le jaune fleur de soufre aimé de Véronèse
Et le rose du feu qui rougit la fournaise
         Éclateront sur les jardins,

Nous irons découvrir aussi notre Amérique !
L’Eldorado rêvé, le pays chimérique
Où l’Ondine aux yeux bleus sort du lac en songeant,
Où pour Titania la perle noire abonde,
Où près d’Hérodiade avec la fée Habonde
         Chasse Diane au front d’argent !

Mais pour l’heure qu’il est, sur nos vitres gothiques
Brillent des fleurs de givre et des lys fantastiques ;
Tu soupires des mots qui ne sont pas des chants,
Et tes beaux seins polis, plus blancs que deux étoiles,
Ont l’air, à la façon dont ils tordent leurs voiles,
         De vouloir s’en aller aux champs.