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Puis je le vois, plus tard, soumettant à sa voix
L’âpre désert, vainqueur des antres et des bois ;
Car, ô Déesse, alors sur les monts du Rhodope
Ou sur le sombre Hémus que la nue enveloppe,
Attirés par ses chants, pins, yeuses, cyprès,
Les arbres pour venir l’écouter de plus près
Déchiraient follement en leurs fureurs divines
La terre qui tenait captives leurs racines ;
Et, sans songer à fuir leurs souffles arrogants
Restant pour l’écouter dans les noirs ouragans,
La colombe des cieux laissait tomber sa plume
Sur le flot irrité du torrent blanc d’écume ;
Les aigles oubliaient de prendre leur essor ;
La tigresse tournait une prunelle d’or
Vers ses regards voilés par ses longues paupières,
Et sa voix éveillait des âmes dans les pierres.
   Temps quatre fois heureux où des vers ont changé
Une arène infertile en Éden ombragé !
Au haut de la colline, une plaine déserte
Et sans ombre, étalait son tapis d’herbe verte.
Sitôt que le poète issu du sang des Dieux
Y vint, et que la corde aux sons mélodieux
Résonna sous ses doigts, alors l’ombre prochaine
Accourut. Ni ton arbre, ô Chaon ! ni le chêne
Touffu ne manqua, ni le frêne meurtrier,
Ni l’érable qui saigne et le chaste laurier.
Puis le tilleul ami, l’héliade pleureuse,
Les tendres noisetiers et la tremblante yeuse