Page:Banville - Œuvres, Les Cariatides, 1889.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

Admire en pâlissant la sereine splendeur,
Et dans le vaste flot sacré dont la candeur
Éclate et de la nuit blanchit les sombres voiles,
Il voit s’épanouir des millions d’étoiles.
   Telle est la Poésie : à travers le lointain
Des âges, qui s’enfuit, comme au riant matin
Devant les flèches d’or à vaincre habituées
S’enfuit le triste chœur frissonnant des Nuées,
Elle nous apparaît d’abord confusément,
Lueur, flambeau, clarté, vaste éblouissement
De porteurs de lauriers et de porteurs de lyre
À l’homme encor sauvage enseignant leur délire ;
Puis nous reconnaissons parmi des spectres vains
Les inventeurs sacrés, les beaux géants divins,
Pareils à des lions dont la fauve crinière
Embrase leurs fronts d’or que baise la lumière.
Ô Calliope ! muse aux chastes bras de lys,
Avant tous, dans les jours lointains je vois ton fils
Orphée, et je salue au riant crépuscule
Ce roi héros qui fut le compagnon d’Hercule.
Je le vois sur l’Argo ; déjà courbant leurs fronts,
Jason, Téphys, Idas de leurs gais avirons
Frappent les flots ; mais lui, tenant la lyre, il chante.
Tous les monstres marins sur la mer qu’il enchante
Montent, heurtant leurs flancs vermeils et se pressant
Pour suivre le vaisseau rapide en bondissant ;
Et cherchant le héros avec un doux murmure,
Le vent caressant fait voler sa chevelure.