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Puis tu délaceras ta cuirasse guerrière.
Alors, bravant l’orage effroyable et ses jeux,
Marche, tes noirs cheveux au vent, dans la clairière,
Va dans les antres sourds, gravis les rocs neigeux,
Près des gouffres ouverts et sur les pics sublimes
Qui fument au soleil, de glace hérissés,
Respire, et plonge-toi dans les fleuves glacés.
Muse, il est bon pour toi de vivre sur les cimes,
De sentir sur ton sein la caresse des airs,
De franchir l’âpre horreur des torrents sans rivages,
Et, quand les vents affreux pleurent dans les déserts,
De livrer ta poitrine à leurs bouches sauvages.
Le flot aigu, le mont qu’endort l’éternité,
La forêt qui grandit selon les saintes règles
Vers l’azur, et la neige et les chemins des aigles
Conviennent, ô Déesse, à ta virginité.
Car rien ne doit ternir ta pureté première
Et souiller par un long baiser matériel
Ta belle chair, pétrie avec de la lumière.
Ton véritable amant, chaste fille du ciel,
Est celui qui, malgré ta voix qui le rassure
Et ton regard penché sur lui, n’oserait pas
D’une lèvre timide effleurer ta chaussure
Et baiser seulement la trace de tes pas.
Oui, c’est moi qui te sers et c’est moi qui t’adore.
Viens ! ceux qu’on a crus morts, nous les retrouverons !
Les guerriers, les archers, les rois, les forgerons,
Les reines de l’azur aux fronts baignés d’aurore !