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Et, comme avec terreur, ma chair a frissonné.
Quel est ce bruit lointain ? Ah ! l’horloge a sonné !
Et la page est encor vierge. Mon corps débile
Se débat sous le feu d’une fièvre stérile.
J’attends en vain l’idée et l’inspiration.
Comme tu me mentais, splendide vision
Qui venais me bercer d’une espérance vaine !
Être impuissant ! n’avoir que du sang dans la veine !
Avoir voulu d’un mot définir l’univers,
Et ne pouvoir trouver l’arrangement d’un vers !
Me suis-je donc mépris ? Dans mon cœur qui ruisselle
Dieu n’avait-il pas mis la sublime étincelle ?
Oh ! si, je me souviens. En mes désirs sans frein,
Enfant, j’ai vu de près les colosses d’airain ;
Je cherchais dans la forme ardemment fécondée
Le moule harmonieux de toute large idée ;
J’allais aux géants grecs demander tour à tour
Quelle grâce polie ou quel rude contour
Fait vivre pour les yeux la synthèse éternelle.
Esprit épouvanté, je me perdais en elle,
Tâchant de distinguer dans quels vastes accords
Se fondent les splendeurs des âmes et des corps,
Et méditant déjà comment notre génie
Impose une enveloppe à la chose infinie.
Hélas ! amants d’un soir, en vain nous enlaçons
La morne Galatée et ses divins glaçons.
Pourquoi m’as-tu quitté, Muse blanche ? Ô ma lyre !
Quel ouragan t’a pris ton suave délire ?