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C’est ainsi qu’il était, malheureux et tranquille,
Songeant aux vrais plaisirs si rares et si courts,
Le front pâli déjà par la débauche vile,
Et le cœur encor plein de ses jeunes amours,
Quand, près de la taverne où s’écoulaient ses jours,
Il vint à rencontrer Sténio par la ville.

Papillon de la rose et frère de l’oiseau,
C’était un doux jeune homme enivré d’ambroisie,
Amoureux du repos et de la fantaisie,
Laissant courir sa barque aux effluves de l’eau,
Et dans les bras nerveux de sa Muse choisie
Couché nonchalamment, comme dans un berceau.

La vaste Poésie est faite avec deux choses :
Une Âme, champ brûlé que fécondent les pleurs,
Puis une Lyre d’or, écho de ces douleurs,
Dont la corde se plie à ses métamorphoses,
Et vibre sous la peine et sous les amours roses,
Comme sous le baiser du vent un arbre en fleurs.

Oh ! lorsqu’on prend un livre et que l’on daigne lire
Une riche pensée écrite en nobles vers,
On ne sait pas combien la page et le revers
Ont pu coûter souvent de farouche délire
Et combien le gazon a de gouffres ouverts !
C’est César qui fut l’Âme, et Sténio la Lyre.