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Oui, frères en effet ! J’ai dit qu’ils étaient frères :
Je ne sais s’ils avaient sucé le même lait
Ou s’ils s’étaient pendus aux gorges de deux mères,
Mais ils craignaient de même et la honte et le laid.
Tous deux comme un bonheur s’étaient pris au collet
Pour s’être rencontrés le soir aux réverbères.

Ils s’appelaient César et Sténio. Ce point
Éclairci, leurs passés faut-il que je les dise ?
Le plus âgé des deux c’était César. La bise
Avait connu longtemps les trous de son pourpoint,
Comme la pauvreté son lit. De Cidalise,
Ayant aimé trop tôt, je pense, il n’en eut point.

Au fait, son existence avait été bizarre,
Car il était né bon dans un siècle de fer.
Rêveur dépaysé dont la folle guitare
Câlinait le passant pour lui dire un vieil air,
Le monde l’accabla de sa rigueur avare,
Et le fit, de son ciel, rouler dans un enfer.

Tout enfant, il aima sa mère, une danseuse
De Parme, qui louait à tout prix son coton.
Or, un jour, au sortir d’une nuit amoureuse
Avec un Nelleri, seigneur d’assez haut ton,
Comme il trouvait l’enfant d’une mine joyeuse,
Elle le lui vendit pour cent ducats, dit-on.