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le baiser

Qu’elle est svelte ! Mais sait-on jamais comment on
Deviendra ? Son nez vient taquiner son menton.
Pauvre dame ! Elle marche à peine. Elle titube,
Hirsute comme un cep, et mince comme un tube.
Elle a dû cueillir son bâton, voilà cent ans.
Oh ! qu’elle a vu passer d’hivers et de printemps !
Bien sûr, elle n’a pas l’âge d’une colombe.

Urgèle paraît, épuisée et chancelante. Pierrot va au-devant d’elle, lui offre son bras, la soutient et la conduit vers le banc de verdure.
Pierrot.

Madame, appuyez-vous sur mon bras.

Urgèle.

Madame, appuyez-vous sur mon bras. Je succombe.
La fatigue… La faim… La soif…

Pierrot.

La fatigue… La faim… La soif… Asseyez-vous.
Ce tronc d’arbre caché sous la mousse est fort doux,
Et de plus, abrité contre le ciel de flamme.
Reposez-vous.

Il sort pour revenir presque aussitôt.
Urgèle.

Reposez-vous. Il a de la pitié dans l’âme.

Pierrot rentre avec son panier, et met le couvert par terre, sur le gazon. Il s’assied aux pieds d’Urgèle, la sert, et mange et boit en même temps qu’elle.