Page:Banville - Ésope, 1893.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
ÉSOPE

Saroulkha

C’est moi, roi Crésus, mais j’obéis à mon Roi !
Il est le maître, il est le Roi des Rois, la gloire
Des cieux, et le brillant vainqueur de la nuit noire.
Ce qu’il veut est bien, puisqu’il le veut ; et quand il
A parlé, rien pour son service, n’est plus vil.
Je ne suis rien que boue et que terre fragile :
À son gré, de ses doigts, il pétrit cette argile,
Moi qui criais mon nom, de la Peur détesté,
Si je l’ai caché, c’est lorsque sa Majesté
L’ordonnait. J’ai marché sous une porte basse,
Mais je lève à présent mon front.

Crésus

Mais je lève à présent mon front. Je te fais grâce.
Va-t-en dire à Cyrus que je savais ton nom
Et que j’ai dédaigné de te punir.

Saroulkha, suppliant.

Et que j’ai dédaigné de te punir. Oh ! non !
Fais que mon sang versé de lumière s’enivre
Et ne m’inflige pas cette honte de vivre !
Oh ! non, pas cela. Vois la rougeur de mon front.
Par grâce !

Rhodope, à Crésus.

Par grâce ! Tu lui dois épargner cet affront,
C’est un guerrier. Loin qu’il se soit enfui loin d’elle,
La mort fut de tout temps sa compagne fidèle
Que sous le clair soleil il voulut épouser ;
Il a droit maintenant à son rouge baiser.
Oh ! que mêlant ainsi les pourpres de leurs bouches
La Mort vienne et l’endorme entre ses bras farouches !

Saroulkha, à Crésus.

Et qu’à jamais ton nom divin puisse fleurir !