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ÉSOPE

Caché dans les bois, près de sa divine amante.

Ésope

Et ma barbe n’est pas affreuse ?

Cydias

Et ma barbe n’est pas affreuse ? Elle est charmante.

Orétès

Et ce regard qui brille est comme un clair flambeau.

Ésope

Donc, je ne suis pas laid ?

Orétès

Donc, je ne suis pas laid ? Pas du tout.

Ésope

Donc, je ne suis pas laid ? Pas du tout. Je suis beau ?

Orétès

Comme Apollon venant éclairer nos misères.

Cydias

Oui, comme lui.

Ésope, avec une bonhomie ironique.

Oui, comme lui. Je vois que vous êtes sincères.

Orétès, modestement.

Vrais.

Ésope

Vrais. Un corbeau, perché sur un arbre très sec,
En hiver, tenait un fromage dans son bec.
Ce régal, un renard doucereux, mais avide,
En bas, le dévorait des yeux, mâchant à vide.
Il dit : Je le salue et je t’aime, corbeau !
Dieux ! que ton noir plumage est lisse et ton corps beau !
Ami, ta seule vue est une enchanteresse,
Un délice ; mais si tu chantais, que serait-ce ?
Les tigres, les lions adoucis, les rochers
T’écouteraient, auprès de ton arbre penchés.
Tous diraient : L’oiseau chante, il faut qu’on applaudisse.
C’est quelque Orphée ayant perdu son Eurydice
Et qui, pour la reprendre, après les maux soufferts,
Ira charmer les Dieux effrayants des enfers.