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ÉSOPE

D’un grand Lion. C’était d’un Rat bien imprudent.
Mais le Lion, brisé par le soleil ardent,
Laissa vivre ce vil rebut de la nature.

Crésus, souriant.

Et ce fut de sa part générosité pure,
Car sans doute le Rat ne sut pas, en effet,
J’imagine, payer cette dette.

Ésope

J’imagine, payer cette dette. Si fait,
Car un jour, le Lion terrible et solitaire
Fut pris dans un filet tendu près de la terre,
Sombre, vaincu, les yeux pleins d’éblouissements.
Et la forêt trembla de ses rugissements.
Mais le Rat, lui, ce vil néant, cette canaille,
Se mit à ronger les filets, maille par maille,
Et le Lion, par son secours essentiel,
Se retrouva superbe et libre sous le ciel.
Car le grand, si grand qu’il soit, peut avoir affaire
D’un petit.

Crésus, à Dorion.

D’un petit. Dorion, que prétendais-tu faire
De ce nain, qui nous dit l’histoire des lions ?
Que lui voulais-tu ?

Dorion

Que lui voulais-tu ? Peu de chose. Nous voulions
Le faire expirer sous le fouet. Haillon de fange,
Tortu, difforme, il ne vaut pas le pain qu’il mange.
Un marchand me donna cet être mal léché,
Avec trois beaux Crétois, par dessus le marché.
C’est ainsi. Nous avons eu pour rien ce colosse
Exigu, ce héros tragique, avec sa bosse.
Le rire le talonne et le suit pas à pas.
Rien, pour lui, c’est cher.

Crésus, à Dorion.

Rien, pour lui, c’est cher. Va.

(Sortent Dorion et les serviteurs).