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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

enfant gisait sur le lit de sangle de sa grand’mère. Pierrette avait les yeux fermés, les cheveux en bandeau, le corps cousu dans un gros drap de coton.

Devant ce lit, les cheveux en désordre, à genoux, les mains étendues, le visage en feu, la vieille Lorrain criait : — Non, non, cela ne se fera pas !

Au pied du lit étaient le tuteur, monsieur Auffray, le curé Péroux et monsieur Habert. Les cierges brûlaient encore.

Devant la grand’mère étaient le chirurgien de l’hospice et monsieur Néraud, appuyés de l’épouvantable et doucereux Vinet. Il y avait un huissier. Le Chirurgien de l’hospice était revêtu de son tablier de dissection. Un de ses aides avait défait sa trousse, et lui présentait un couteau à disséquer.

Cette scène fut troublée par le bruit du cercueil que Brigaut et le plombier laissèrent tomber ; car Brigaut, qui marchait le premier, fut saisi d’épouvante à l’aspect de la vieille Lorrain qui pleurait.

— Qu’y a-t-il ? demanda Brigaut en se plaçant à côté de la vieille grand’mère et serrant convulsivement un ciseau qu’il apportait.

— Il y a, dit la vieille, il y a, Brigaut qu’ils veulent ouvrir le corps de mon enfant, lui fendre la tête, lui crever le cœur après sa mort comme pendant sa vie.

— Qui ? fit Brigaut d’une voix à briser le tympan des gens de justice.

— Les Rogron.

— Par le saint nom de Dieu !…

— Un moment, Brigaut, dit monsieur Auffray en voyant le Breton brandissant son ciseau.

— Monsieur Auffray, dit Brigaut pâle autant que la jeune morte, je vous écoute parce que vous êtes monsieur Auffray ; mais en ce moment je n’écouterais pas…

— La Justice ! dit Auffray.

— Est-ce qu’il y a une justice ? s’écria le Breton. La Justice, la voilà ! dit-il en menaçant l’avocat, le chirurgien et l’huissier de son ciseau qui brillait au soleil.

— Mon ami, dit le curé, la Justice a été invoquée par l’avocat de monsieur Rogron, qui est sous le coup d’une accusation grave, et il est impossible de refuser à un inculpé les moyens de se justifier.