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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

s’écria-t-elle en s’adressant à son frère, sans attendre la réponse de Pierrette.

— Au contraire, ma cousine, j’ai comme la fièvre…

— La fièvre de quoi ? Vous êtes gaie comme pinson. Vous avez peut-être revu quelqu’un ?

Pierrette frissonna et baissa les yeux sur son assiette.

— Tartufe ! s’écria Sylvie. À quatorze ans ! déjà ! quelles dispositions ! Mais vous serez donc une malheureuse ?

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, reprit Pierrette en levant ses beaux yeux bruns lumineux sur sa cousine.

— Aujourd’hui, dit-elle, vous resterez dans la salle à manger avec une chandelle, à travailler. Vous êtes de trop au salon, et je ne veux pas que vous regardiez dans mon jeu pour conseiller vos favoris.

Pierrette ne sourcilla pas.

— Dissimulée ! s’écria Sylvie en sortant.

Rogron, qui ne comprenait rien aux paroles de sa sœur, dit à Pierrette : — Qu’avez-vous donc ensemble ? Tâche de plaire à ta cousine, Pierrette ; elle est bien indulgente, bien douce, et si tu lui donnes de l’humeur, assurément tu dois avoir tort. Pourquoi vous chamaillez-vous ? Moi, j’aime à vivre tranquille. Regarde mademoiselle Bathilde, tu devrais te modeler sur elle.

Pierrette pouvait tout supporter, Brigaut viendrait sans doute, à minuit, lui apporter une réponse, et cette espérance était le viatique de sa journée. Mais elle usait ses dernières forces ! Elle ne dormit pas, elle resta debout, écoutant sonner les heures aux pendules et craignant de faire du bruit. Enfin minuit sonna, elle ouvrit doucement sa fenêtre, et cette fois elle usa d’une corde qu’elle s’était procurée en attachant plusieurs bouts de ficelle les uns aux autres. Elle avait entendu les pas de Brigaut ; et quand elle retira sa corde, elle lut la lettre suivante qui la combla de joie :

« Ma chère Pierrette, si tu souffres tant, il ne faut pas te fatiguer à m’attendre. Tu m’entendras bien crier comme criaient les Chuins (les Chouans). Heureusement mon père m’a appris à imiter leur cri. Donc, je crierai trois fois, tu sauras alors que je suis là et qu’il faut me tendre la corde ; mais je ne viendrai pas avant quelques jours. J’espère t’annoncer une bonne nouvelle. Oh ! Pierrette, mourir ! mais, Pierrette, y penses-tu ? Tout mon cœur a tremblé ; je me suis cru mort moi-même à cette idée. Non, ma