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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.
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se fit pas attendre. En 1814, avant la capitulation de Paris, Joseph Mirouët eut à Paris un asile où sa femme mourut en donnant le jour à une petite fille que le docteur voulut appeler Ursule, le nom de sa femme. Le capitaine de musique ne survécut pas à la mère, épuisé comme elle de fatigues et de misères. En mourant, l’infortuné musicien légua sa fille au docteur, qui lui servit de parrain, malgré sa répugnance pour ce qu’il appelait les momeries de l’Église. Après avoir vu périr successivement ses enfants par des avortements, dans des couches laborieuses ou pendant leur première année, le docteur avait attendu l’effet d’une dernière expérience. Quand une femme malingre, nerveuse, délicate, débute par une fausse couche, il n’est pas rare de la voir se conduire dans ses grossesses et dans ses enfantements comme s’était conduite Ursule Minoret, malgré les soins, les observations et la science de son mari. Le pauvre homme s’était souvent reproché leur mutuelle persistance à vouloir des enfants. Le dernier, conçu après un repos de deux ans, était mort pendant l’année 1792, victime de l’état nerveux de la mère, s’il faut donner raison aux physiologistes qui pensent que, dans le phénomène inexplicable de la génération, l’enfant tient au père par le sang et à la mère par le système nerveux. Forcé de renoncer aux jouissances du sentiment le plus puissant chez lui, la bienfaisance fut sans doute pour le docteur une revanche de sa paternité trompée. Durant sa vie conjugale, si cruellement agitée, le docteur avait, par-dessus tout, désiré une petite fille blonde, une de ces fleurs qui font la joie d’une maison ; il accepta donc avec bonheur le legs que lui fit Joseph Mirouët et reporta sur l’orpheline les espérances de ses rêves évanouis. Pendant deux ans il assista, comme fit jadis Caton pour Pompée, aux plus minutieux détails de la vie d’Ursule ; il ne voulait pas que la nourrice lui donnât à téter, la levât, la couchât sans lui. Son expérience, sa science, tout fut au service de cette enfant. Après avoir ressenti les douleurs, les alternatives de crainte et d’espérance, les travaux et les joies d’une mère, il eut le bonheur de voir dans cette fille de la blonde Allemande et de l’artiste français une vigoureuse vie, une sensibilité profonde. L’heureux vieillard suivit avec les sentiments d’une mère les progrès de cette chevelure blonde, d’abord duvet, puis soie, puis cheveux légers et fins, si caressants aux doigts qui les caressent. Il baisa souvent ces petits pieds nus dont les doigts, couverts d’une pellicule sous laquelle