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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

les salades crues et les dévorait en secret. L’innocente enfant ignorait complètement que sa situation constituait une maladie grave et voulait les plus grandes précautions. Avant l’arrivée de Brigaut, si ce Néraud, qui pouvait se reprocher la mort de la grand’mère, eût révélé ce danger mortel à la petite-fille, Pierrette eût souri : elle trouvait trop d’amertume à la vie pour ne pas sourire à la mort. Mais depuis quelques instants, elle qui joignait à ses souffrances corporelles les souffrances de la nostalgie bretonne, maladie morale si connue que les colonels y ont égard pour les Bretons qui se trouvent dans leurs régiments, elle aimait Provins ! La vue de cette fleur d’or, ce chant, la présence de son ami d’enfance l’avait ranimée comme une plante depuis long-temps sans eau reverdit après une longue pluie. Elle voulait vivre, elle croyait ne pas avoir souffert ! Elle se glissa timidement chez sa cousine, y fit le feu, y laissa la bouilloire, échangea quelques paroles, alla réveiller son tuteur, et descendit prendre le lait, le pain et toutes les provisions que les fournisseurs apportaient. Elle resta pendant quelque temps sur le seuil de la porte, espérant que Brigaut aurait l’esprit de revenir ; mais Brigaut était déjà sur la route de Paris. Elle avait arrangé la salle, elle était occupée à la cuisine, quand elle entendit sa cousine descendant l’escalier. Mademoiselle Sylvie Rogron apparut dans sa robe de chambre de taffetas couleur carmélite, un bonnet de tulle orné de coques sur sa tête, son tour de faux cheveux assez mal mis, sa camisole par-dessus sa robe, les pieds dans ses pantoufles traînantes. Elle passa tout en revue, et vint trouver sa cousine, qui l’attendait pour savoir de quoi se composerait le déjeuner.

— Ah ! vous voilà donc, mademoiselle l’amoureuse ? dit Sylvie à Pierrette d’un ton moitié gai, moitié railleur.

— Plaît-il, ma cousine ?

— Vous êtes entrée chez moi comme une sournoise et vous en êtes sortie de même ; vous deviez cependant bien savoir que j’avais à vous parler.

— Moi…

— Vous avez eu ce matin une sérénade ni plus ni moins qu’une princesse.

— Une sérénade ? s’écria Pierrette.

— Une sérénade ? reprit Sylvie en l’imitant. Et vous avez un amant.