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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

Tiphaine. L’accession de madame et de mademoiselle de Chargebœuf au ménage et aux idées de Vinet donna la plus grande consistance au parti libéral. Cette jonction consterna l’aristocratie de Provins et le parti des Tiphaine. Madame de Bréautey, désespérée de voir deux femmes nobles ainsi égarées, les pria de venir chez elle. Elle gémit des fautes commises par les Royalistes, et devint furieuse contre ceux de Troyes en apprenant la situation de la mère et de la fille.

— Comment ! il ne s’est pas trouvé quelque vieux gentilhomme campagnard pour épouser cette chère petite, faite pour devenir une châtelaine ? disait-elle. Ils l’ont laissée monter en graine, et elle va se jeter à la tête d’un Rogron.

Elle remua tout le Département sans pouvoir y trouver un seul gentilhomme capable d’épouser une fille dont la mère n’avait que deux mille livres de rente. Le parti des Tiphaine et le Sous-préfet se mirent aussi, mais trop tard, à la recherche de cet inconnu. Madame de Bréautey porta de terribles accusations contre l’égoïsme qui dévorait la France, fruit du matérialisme et de l’empire accordé par les lois à l’argent : la noblesse n’était plus rien ! la beauté plus rien ! Des Rogron, des Vinet livraient combat au roi de France !

Bathilde de Chargebœuf n’avait pas seulement sur sa rivale l’avantage incontestable de la beauté, mais encore celui de la toilette. Elle était d’une blancheur éclatante. À vingt-cinq ans, ses épaules entièrement développées, ses belles formes avaient une plénitude exquise. La rondeur de son cou, la pureté de ses attaches, la richesse de sa chevelure d’un blond élégant, la grâce de son sourire, la forme distinguée de sa tête, le port et la coupe de sa figure, ses beaux yeux bien placés sous un front bien taillé, ses mouvements nobles et de bonne compagnie, et sa taille encore svelte, tout en elle s’harmoniait. Elle avait une belle main et le pied étroit. Sa santé lui donnait peut-être l’air d’une belle fille d’auberge « — mais ce ne devait pas être un défaut aux yeux d’un Rogron » dit la belle madame Tiphaine. Mademoiselle de Chargebœuf parut la première fois assez simplement mise. Sa robe de mérinos brun festonnée d’une broderie verte était décolletée ; mais un fichu de tulle bien tendu par des cordons intérieurs, couvrait ses épaules, son dos et le corsage en s’entr’ouvrant néanmoins par devant, quoique le fichu fût fermé par une sévigné. Sous ce délicat réseau, les beautés de Bathilde étaient encore plus coquettes, plus séduisantes. Elle ôta son chapeau de velours et son châle en arrivant, et montra ses jolies