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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

— Rien, dit la pauvre enfant en allant embrasser son cousin.

— Rien ? reprit Sylvie. On ne pleure pas sans raison.

— Qu’avez-vous, ma petite belle ? lui dit madame Vinet.

— Ma cousine riche ne me traite pas si bien que ma pauvre grand’mère !

— Votre grand’mère vous a pris votre fortune, dit Sylvie, et votre cousine vous laissera la sienne.

Le colonel et l’avocat se regardèrent à la dérobée.

— J’aime mieux être volée et aimée, dit Pierrette.

— Eh ! bien, l’on vous renverra d’où vous venez.

— Mais qu’a-t-elle donc fait, cette chère petite ? dit madame Vinet.

Vinet jeta sur sa femme ce terrible regard, fixe et froid, des gens qui exercent une domination absolue. La pauvre ilote, incessamment punie de n’avoir pas eu la seule chose qu’on voulût d’elle, une fortune, reprit ses cartes.

— Ce qu’elle a fait ? s’écria Sylvie en relevant la tête par un mouvement si brusque que les giroflées jaunes de son bonnet s’agitèrent. Elle ne sait quoi s’inventer pour nous contrarier : elle a ouvert ma montre pour en connaître le mécanisme, elle a touché la roue et a cassé le grand ressort. Mademoiselle n’écoute rien. Je suis toute la journée à lui recommander de prendre garde à tout, et c’est comme si je parlais à cette lampe.

Pierrette, honteuse d’être réprimandée en présence des étrangers, sortit tout doucement.

— Je me demande comment dompter la turbulence de cette enfant, dit Rogron.

— Mais elle est assez âgée pour aller en pension, dit madame Vinet.

Un nouveau regard de Vinet imposa silence à sa femme, à laquelle il s’était bien gardé de confier ses plans et ceux du colonel sur les deux célibataires.

— Voilà ce que c’est que de se charger des enfants d’autrui ! s’écria le colonel. Vous pouviez encore en avoir à vous, vous ou votre frère ; pourquoi ne vous mariez-vous pas l’un ou l’autre ?

Sylvie regarda très-agréablement le colonel : elle rencontrait pour la première fois de sa vie un homme à qui l’idée qu’elle aurait pu se marier ne paraissait pas absurde.

— Mais madame Vinet a raison, s’écria Rogron, ça ferait tenir Pierrette tranquille. Un maître ne coûtera pas grand’chose !