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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

pavée une maison serrée entre les murailles de deux maisons voisines déguisées par des massifs d’arbres et de plantes grimpantes.

— Elle est bâtie sur caves, dit le docteur en entrant par un perron très élevé garni de vases en faïence blanche et bleue où fleurissaient alors des géraniums.

Coupée, comme la plupart des maisons de province, par un corridor qui mène de la cour au jardin, la maison n’avait à droite qu’un salon éclairé par quatre croisées, deux sur la cour et deux sur le jardin ; mais Levrault-Levrault avait consacré l’une de ces croisées à l’entrée d’une longue serre bâtie en briques qui allait du salon à la rivière où elle se terminait par un horrible pavillon chinois.

— Bon ! en faisant couvrir cette serre et la parquetant, dit le vieux Minoret, je pourrais loger ma bibliothèque et faire un joli cabinet de ce singulier morceau d’architecture. De l’autre côté du corridor se trouvait sur le jardin une salle à manger, en imitation de laque noire à fleurs vert et or, et séparée de la cuisine par la cage de l’escalier. On communiquait, par un petit office pratiqué derrière cet escalier, avec la cuisine dont les fenêtres à barreaux de fer grillagés donnaient sur la cour. Il y avait deux appartements au premier étage ; et au-dessus, des mansardes lambrissées encore assez logeables. Après avoir rapidement examiné cette maison garnie de treillages verts du haut en bas, du côté de la cour comme du côté du jardin, et qui sur la rivière était terminée par une terrasse chargée de vases en faïence, le docteur dit : — Levrault-Levrault a dû dépenser bien de l’argent ici !

— Oh ! gros comme lui, répondit Minoret-Levrault. Il aimait les fleurs, une bêtise ! — Qu’est-ce que cela rapporte ? dit ma femme. Vous voyez, un peintre de Paris est venu pour peindre en fleurs à fresque son corridor. Il a mis partout des glaces entières. Les plafonds ont été refaits avec des corniches qui coûtent six francs le pied. La salle à manger, les parquets sont en marqueterie, des folies ! La maison ne vaut pas un sou de plus.

— Hé ! bien, mon neveu, fais-moi cette acquisition, donne-m’en avis, voici mon adresse ; le reste regardera mon notaire. — Qui donc demeure en face ? demanda-t-il en sortant.

— Des émigrés ! répondit le maître de poste, un chevalier de Portenduère.

Une fois la maison achetée, l’illustre docteur, au lieu d’y venir,