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URSULE MIROUET.

fils en ce moment, et qui ne peut être détourné que par le désir qu’a monsieur de Portenduère de m’être agréable. Ce danger serait sans remède s’il apprenait que vous me faites des propositions déshonorantes… Sachez, madame, que je me trouverai plus heureuse dans la médiocre fortune à laquelle vous faites allusion que dans l’opulence par laquelle vous voulez m’éblouir. Par des raisons inconnues encore, car tout se saura, madame, monsieur Minoret a mis au jour, en me persécutant odieusement, l’affection qui m’unit à monsieur de Portenduère et qui peut s’avouer, car sa mère la bénira sans doute : je dois donc vous dire que cette affection, permise et légitime, est toute ma vie. Aucune destinée, quelque brillante, quelque élevée qu’elle puisse être, ne me fera changer. J’aime sans retour ni changement possible. Ce serait donc un crime dont je serais punie que d’épouser un homme à qui j’apporterais une âme toute à Savinien. Maintenant, madame, puisque vous m’y forcez, je vous dirai plus : je n’aimerais point monsieur de Portenduère, je ne saurais encore me résoudre à porter les peines et les joies de la vie dans la compagnie de monsieur votre fils. Si monsieur Savinien a fait des dettes, vous avez souvent payé celles de monsieur Désiré. Nos caractères n’ont ni ces similitudes, ni ces différences qui permettent de vivre ensemble sans amertume cachée. Peut-être n’aurais-je pas avec lui la tolérance que les femmes doivent à un époux, je lui serais donc bientôt à charge. Cessez de penser à une alliance de laquelle je suis indigne et à laquelle je puis me refuser sans vous causer le moindre chagrin, car vous ne manquerez pas, avec de tels avantages, de trouver des jeunes filles plus belles que moi, d’une condition supérieure à la mienne et plus riches.

— Vous me jurez, ma petite, dit Zélie, d’empêcher que ces deux jeunes gens ne fassent leur voyage et se battent ?

— Ce sera, je le prévois, le plus grand sacrifice que monsieur de Portenduère puisse me faire ; mais ma couronne de mariée ne doit pas être prise par des mains ensanglantées.

— Eh ! bien, je vous remercie, ma cousine, et je souhaite que vous soyez heureuse.

— Et moi, madame, dit Ursule, je souhaite que vous puissiez réaliser le bel avenir de votre fils.

Cette réponse atteignit au cœur la mère du substitut, à la mémoire de qui les prédictions du dernier songe d’Ursule revinrent ; elle resta debout, ses petits yeux attachés sur la figure d’Ursule, si