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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

comme attiré par une force supérieure. Ursule tremblait horriblement dans son enveloppe corporelle, sa chair était comme un vêtement brûlant, et il y avait, dit-elle plus tard, comme une autre elle-même qui s’agitait au dedans. — Grâce, dit-elle, mon parrain ! — Grâce ! il n’est plus temps, dit-il d’une voix de mort selon l’inexplicable expression de la pauvre fille en racontant ce nouveau rêve au curé Chaperon. Il a été averti, il n’a pas tenu compte des avis. Les jours de son fils sont comptés. S’il n’a pas tout avoué, tout restitué dans quelque temps, il pleurera son fils, qui va mourir d’une mort horrible et violente. Qu’il le sache ! Le spectre montra une rangée de chiffres qui scintillèrent sur la muraille comme s’ils eussent été écrits avec du feu, et dit : — Voilà son arrêt ! Quand son oncle se recoucha dans sa tombe, Ursule entendit le bruit de la pierre qui retombait, puis dans le lointain un bruit étrange de chevaux et de cris d’homme.

Le lendemain, Ursule se trouva sans force. Elle ne put se lever, tant ce rêve l’avait accablée. Elle pria sa nourrice d’aller aussitôt chez l’abbé Chaperon et de le ramener. Le bonhomme vint après avoir dit sa messe ; mais il ne fut point surpris du récit d’Ursule : il tenait la spoliation pour vraie, et ne cherchait plus à s’expliquer la vie anormale de sa chère petite rêveuse. Il quitta promptement Ursule et courut chez Minoret.

— Mon Dieu, monsieur le curé, dit Zélie au prêtre, le caractère de mon mari s’est aigri, je ne sais ce qu’il a. Jusqu’à présent c’était un enfant ; mais depuis deux mois il n’est plus reconnaissable. Pour s’être emporté jusqu’à me frapper, moi qui suis si douce ! il faut que cet homme-là soit changé du tout au tout. Vous le trouverez dans les roches, il y passe sa vie ! A quoi faire ?

Malgré la chaleur, on était alors en septembre 1836, le prêtre passa le canal et prit par un sentier en apercevant Minoret assis au bas d’une des roches.

— Vous êtes bien tourmenté, monsieur Minoret, dit le prêtre en se montrant au coupable. Vous m’appartenez, car vous souffrez. Malheureusement, je viens sans doute augmenter vos appréhensions. Ursule a eu cette nuit un rêve terrible. Votre oncle a soulevé la pierre de sa tombe pour prophétiser des malheurs dans votre famille. Je ne viens certes pas vous faire peur, mais vous devez savoir si ce qu’il a dit…

— En vérité, monsieur le curé, je ne puis être tranquille nulle