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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Goupil regardait pour ainsi dire les deux plateaux où pesaient, d’un côté le soufflet de Savinien, de l’autre sa haine contre Minoret. Il resta deux secondes indécis, mais enfin une voix lui cria : — Tu seras notaire ! Et il répondit : — Pardon et oubli ? Oui, de part et d’autre, monsieur, en serrant la main du gentilhomme.

— Qui donc persécute Ursule ? fit Savinien.

— Minoret ! Il aurait voulu la voir enterrée… Pourquoi ? je ne le sais pas ; mais nous en chercherons la raison. Ne me mêlez point à tout ceci, je ne pourrais plus rien pour vous si l’on se défiait de moi. Au lieu d’attaquer Ursule, je la défendrai ; au lieu de servir Minoret, je tâcherai de déjouer ses plans. Je ne vis que pour le ruiner, pour le détruire. Et je le foulerai aux pieds, je danserai sur son cadavre, je me ferai de ses os un jeu de dominos ! Demain, sur toutes les murailles de Nemours, de Fontainebleau, du Rouvre on lira au crayon rouge : Minoret est un voleur. Oh ! je le ferai, nom de… nom ! éclater comme un mortier. Maintenant, nous sommes alliés par une indiscrétion ; eh bien ! si vous le voulez, je vais me mettre à genoux devant mademoiselle Mirouët, lui déclarer que je maudis la passion insensée qui me poussait à la tuer, je la supplierai de me pardonner. Ça lui fera du bien ! Le juge de paix et le curé sont là, ces deux témoins suffisent ; mais monsieur Bongrand s’engagera sur l’honneur à ne pas me nuire dans ma carrière. J’ai maintenant une carrière.

— Attendez un moment, répondit Savinien tout étourdi par cette révélation : — Ursule, mon enfant, dit-il en entrant au salon, l’auteur de tous vos maux a horreur de son ouvrage, se repent et veut vous demander pardon en présence de ces messieurs, à la condition que tout sera oublié.

— Comment, Goupil ? dirent à la fois le curé, le juge de paix et le médecin.

— Gardez-lui le secret, fit Ursule en levant un doigt à ses lèvres.

Goupil entendit cette parole, vit le mouvement d’Ursule et se sentit ému.

— Mademoiselle, dit-il d’un ton pénétré, je voudrais maintenant que tout Nemours pût m’entendre vous avouant qu’une fatale passion a égaré ma tête et m’a suggéré des crimes punissables par le blâme des honnêtes gens. Ce que je dis là, je le répéterai partout, en déplorant le mal produit par de mauvaises plaisanteries, mais qui vous auront servi peut-être à hâter votre bonheur, dit-il avec