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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

d’un hautbois, d’une flûte, d’un cornet à piston, d’un trombone, d’un basson, d’un flageolet et d’un triangle. Tous les voisins étaient aux fenêtres. La pauvre enfant, déjà saisie en voyant du monde dans la rue, reçut un coup terrible au cœur en entendant une voix d’homme enrouée, ignoble, qui cria : « Pour la belle Ursule Mirouët, de la part de son amant. » Le lendemain, dimanche, toute la ville fut en rumeur, et, à l’entrée comme à la sortie d’Ursule à l’église, elle vit sur la place des groupes nombreux occupés d’elle et manifestant une horrible curiosité. La sérénade mettait toutes les langues en mouvement, car chacun se perdait en conjectures. Ursule revint chez elle plus morte que vive et ne sortit plus, le curé lui avait conseillé de dire ses vêpres chez elle. En rentrant elle vit dans le corridor carrelé en briques qui menait de la rue à la cour une lettre glissée sous la porte ; elle la ramassa, la lut poussée par le désir d’y trouver une explication. Les êtres les moins sensibles peuvent deviner ce qu’elle dut éprouver en lisant ces terribles lignes :

« Résignez-vous à devenir ma femme, riche et adorée. Je vous veux. Si je ne vous ai vivante, je vous aurai morte. Attribuez à vos refus les malheurs qui n’atteindront pas que vous.

Celui qui vous aime et à qui vous serez un jour. »

Chose étrange ! au moment où la douce et tendre victime de cette machination était abattue comme une fleur coupée, mesdemoiselles Massin, Dionis et Crémière enviaient son sort.

— Elle est bien heureuse, disaient-elles. On s’occupe d’elle, on flatte ses goûts, on se la dispute ! La sérénade était, à ce qu’il paraît, charmante ! Il y avait un cornet à piston !

— Qu’est-ce qu’un piston ?

— Un nouvel instrument de musique ! tiens, grand comme ça, disait Angéline Crémière à Paméla Massin.

Dès le matin, Savinien était allé jusqu’à Fontainebleau tâcher de savoir qui avait demandé des musiciens du régiment en garnison ; mais comme il y avait deux hommes pour chaque instrument, il fut impossible de connaître ceux qui étaient allés à Nemours. Le colonel fit défendre aux musiciens de jouer chez des particuliers sans sa permission. Le gentilhomme eut une entrevue avec le procureur du roi, tuteur d’Ursule, et lui expliqua la gravité de ces sortes de scènes sur une jeune fille si délicate et si frêle, en le priant de rechercher l’auteur de cette sérénade par les moyens dont dis-