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URSULE MIROUET.

— Allez, ma vieille. Elle ne doit pas être inquiète un moment de trop…

Le soir, à quatre heures, au retour de la promenade qu’il faisait tous les jours exprès pour passer devant la maison d’Ursule, Savinien trouva sa maîtresse un peu pâlie par des bouleversements si subits.

— Il me semble que jusqu’à présent je n’ai pas su ce que c’était que le plaisir de vous voir, lui dit-elle.

— Vous m’avez dit, répondit Savinien en souriant, car je me souviens de toutes vos paroles : « L’amour ne va pas sans la patience, j’attendrai ! » Vous avez donc, chère enfant, séparé l’amour de la foi ?… Ah ! voici qui termine nos querelles. Vous prétendiez me mieux aimer que je ne vous aime. Ai-je jamais douté de vous ? lui demanda-t-il en lui présentant un bouquet composé de fleurs des champs dont l’arrangement exprimait ses pensées.

— Vous n’avez aucune raison pour douter de moi, répondit-elle. Et d’ailleurs, vous ne savez pas tout, ajouta-t-elle d’une voix troublée.

Elle avait fait refuser à la poste toutes ses lettres. Mais, sans qu’elle eût pu deviner par quel sortilége la chose avait eu lieu, quelques instants après la sortie de Savinien qu’elle avait regardé tournant de la rue des Bourgeois dans la Grand’rue, elle avait trouvé sur sa bergère un papier où était écrit : « Tremblez ! l’amant dédaigné deviendra pire qu’un tigre. » Malgré les supplications de Savinien, elle ne voulut pas, par prudence, lui confier le terrible secret de sa peur. Le plaisir ineffable de revoir Savinien après l’avoir cru perdu pouvait seul lui faire oublier le froid mortel qui venait de la saisir. Pour tout le monde, attendre un malheur indéfini constitue un horrible supplice. La souffrance prend alors les proportions de l’inconnu, qui certes est l’infini de l’âme. Mais, pour Ursule, ce fut la plus grande douleur. Elle éprouvait en elle-même d’affreux sursauts au moindre bruit, elle se défiait du silence, elle soupçonnait ses murailles de complicité. Enfin son heureux sommeil fut troublé. Goupil, sans rien savoir de cette constitution délicate comme celle d’une fleur, avait trouvé, par l’instinct du méchant, le poison qui devait la flétrir, la tuer. Cependant la journée du lendemain se passa sans surprise. Ursule joua du piano fort tard, elle se coucha presque rassurée et accablée de sommeil. À minuit environ, elle fut réveillée par un concert composé d’une clarinette,