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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Mais un succès où le juge de paix montra sa vieille science d’avoué fit éclater la persécution encore sourde et à l’état de vœu que Minoret méditait contre Ursule. Dès que toutes les affaires de la succession furent finies, le juge de paix, supplié par Ursule, prit en main la cause des Portenduère et lui promit de les tirer d’embarras ; mais en allant chez la vieille dame dont la résistance au bonheur d’Ursule le rendait furieux, il ne lui laissa point ignorer qu’il se vouait à ses intérêts uniquement pour plaire à mademoiselle Mirouët. Il choisit l’un de ses anciens clercs pour avoué des Portenduère à Fontainebleau, et dirigea lui-même la demande en nullité de la procédure. Il voulait profiter de l’intervalle qui s’écoulerait entre l’annulation de la poursuite et la nouvelle instance de Massin, pour renouveler le bail de la ferme à six mille francs, tirer des fermiers un pot-de-vin et le payement anticipé de la dernière année. Dès lors la partie de whist se réorganisa chez madame de Portenduère, entre lui, le curé, Savinien et Ursule, que Bongrand et l’abbé Chaperon allaient prendre et ramenaient tous les soirs. En juin, Bongrand fit prononcer la nullité de la procédure suivie par Massin contre les Portenduère. Aussitôt il signa le nouveau bail, obtint trente-deux mille francs du fermier, et un fermage de six mille francs pour dix-huit ans ; puis le soir, avant que ces opérations ne s’ébruitassent, il alla chez Zélie, qu’il savait assez embarrassée de placer ses fonds, et lui proposa l’acquisition des Bordières pour deux cent vingt mille francs.

— Je ferais immédiatement affaire, dit Minoret, si je savais que les Portenduère allassent vivre ailleurs qu’à Nemours.

— Mais, répondit le juge de paix, pourquoi ?

— Nous voulons nous passer de nobles à Nemours.

— Je crois avoir entendu dire à la vieille dame que, si ses affaires s’arrangeaient, elle ne pourrait plus guère vivre qu’en Bretagne avec ce qui lui resterait. Elle parle de vendre sa maison.

— Eh ! bien, vendez-la-moi, dit Minoret.

— Mais tu parles comme si tu étais le maître, dit Zélie. Que veux-tu faire de deux maisons ?

— Si je ne termine pas ce soir avec vous pour les Bordières, reprit le juge de paix, notre bail sera connu, nous serons saisis de nouveau dans trois jours, et je manquerais cette liquidation, qui me tient au cœur. Aussi vais-je de ce pas à Melun, où des fermiers que j’y connais m’achèteront les Bordières les yeux fermés. Vous