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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

fois la veille au docteur, pendant sa conversation, qu’il fallait être fou pour conserver un sou de rente dans les fonds tant que la querelle élevée entre la Presse et la Cour ne serait pas vidée. Le notaire de Minoret approuva le conseil indirectement donné par le juge de paix. Le docteur profita donc de son voyage pour réaliser ses actions industrielles et ses rentes, qui toutes se trouvaient en hausse, et déposer ses capitaux à la Banque. Le notaire engagea son vieux client à vendre aussi les fonds laissés par monsieur de Jordy à Ursule, et qu’il avait fait valoir en bon père de famille. Il promit de mettre en campagne un agent d’affaires excessivement rusé pour traiter avec les créanciers de Savinien ; mais il fallait, pour réussir, que le jeune homme eût le courage de rester quelques jours encore en prison.

— La précipitation dans ces sortes d’affaires coûte au moins quinze pour cent, dit le notaire au docteur. Et d’abord vous n’aurez pas vos fonds avant sept ou huit jours.

Quand Ursule apprit que Savinien serait encore au moins une semaine en prison, elle pria son tuteur de la laisser l’y accompagner une seule fois. Le vieux Minoret refusa. L’oncle et la nièce étaient logés dans un hôtel de la rue Croix-des-Petits-Champs, où le docteur avait pris tout un appartement convenable ; et, connaissant la religion de sa pupille, il lui fit promettre de n’en point sortir quand il serait dehors pour ses affaires. Le bonhomme promenait Ursule dans Paris, lui faisait voir les passages, les boutiques, les boulevards ; mais rien ne l’amusait ni ne l’intéressait.

— Que veux-tu ? lui disait le vieillard.

— Voir Sainte-Pélagie, répondait-elle avec obstination.

Minoret prit alors un fiacre et la mena jusqu’à la rue de la Clef, où la voiture stationna devant l’ignoble façade de cet ancien couvent transformé en prison. La vue de ces hautes murailles grisâtres dont toutes les fenêtres sont grillées, celle de ce guichet où l’on ne peut entrer qu’en se baissant (horrible leçon !), cette masse sombre dans un quartier plein de misères et où elle se dresse entourée de rues désertes comme une misère suprême : cet ensemble de choses tristes saisit Ursule et lui fit verser quelques larmes.

— Comment, dit-elle, emprisonne-t-on des jeunes gens pour de l’argent ? comment une dette donne-t-elle à un usurier un pouvoir que le roi lui-même n’a pas ? Il est donc là ! s’écria-t-elle. Et où, mon parrain ? ajouta-t-elle en regardant de fenêtre en fenêtre.