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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qualité, et je suis trop heureux, d’après ce que m’a dit monsieur le curé, de pouvoir vous servir en quelque chose.

Madame de Portenduère, à qui la démarche convenue pesait tant que depuis le départ de l’abbé Chaperon elle voulait s’adresser au notaire de Nemours, fut si surprise de la délicatesse de Minoret, qu’elle se leva pour répondre à son salut et lui montra un fauteuil.

— Asseyez-vous, monsieur, dit-elle d’un air royal. Notre cher curé vous aura dit que le vicomte est en prison pour quelques dettes de jeune homme, cent mille livres… Si vous pouviez les lui prêter, je vous donnerais une garantie sur ma ferme des Bordières.

— Nous en parlerons, madame la vicomtesse, quand je vous aurai ramené monsieur votre fils, si vous me permettez d’être votre intendant en cette circonstance.

— Très-bien, monsieur le docteur, répondit la vieille dame en inclinant la tête et regardant le curé d’un air qui voulait dire : Vous avez raison, il est homme de bonne compagnie.

— Mon ami le docteur, dit alors le curé, vous le voyez, madame, est plein de dévouement pour votre maison.

— Nous vous en aurons de la reconnaissance, monsieur, dit madame de Portenduère en faisant visiblement un effort ; car à votre âge s’aventurer dans Paris à la piste des méfaits d’un étourdi…

— Madame, en soixante-cinq, j’eus l’honneur de voir l’illustre amiral de Portenduère chez cet excellent monsieur de Malesherbes, et chez monsieur le comte de Buffon, qui désirait le questionner sur plusieurs faits curieux de ses voyages. Il n’est pas impossible que feu monsieur de Portenduère, votre mari, s’y soit trouvé. La marine française était alors glorieuse, elle tenait tête à l’Angleterre, et le capitaine apportait dans cette partie sa quote-part de courage. Avec quelle impatience, en quatre-vingt-trois et quatre, attendait-on des nouvelles du camp de Saint-Roch ! J’ai failli partir comme médecin des armées du roi. Votre grand-oncle, qui vit encore, l’amiral Kergarouët a soutenu dans ce temps-là son fameux combat, car il était sur la Belle-Poule.

— Ah ! s’il savait son petit-neveu en prison !

— Monsieur le vicomte n’y sera plus dans deux jours, dit le vieux Minoret en se levant.

Il tendit la main pour prendre celle de la vieille dame, qui se la