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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

solitude. Il ne se trouvait autour d’elle aucun homme qui pût lui inspirer une de ces folies auxquelles les femmes se livrent, poussées par le désespoir que leur cause une vie sans issue, sans événement, sans intérêt. Elle ne pouvait compter sur rien, pas même sur le hasard, car il y a des vies sans hasard. Au temps où l’Empire brillait de toute sa gloire, lors du passage de Napoléon en Espagne, où il envoyait la fleur de ses troupes, les espérances de cette femme, trompées jusqu’alors, se réveillèrent. La curiosité la poussa naturellement à contempler ces héros qui conquéraient l’Europe sur un mot mis à l’Ordre du Jour, et qui renouvelaient les fabuleux exploits de la chevalerie. Les villes les plus avaricieuses et les plus réfractaires étaient obligées de fêter la Garde Impériale, au-devant de laquelle allaient les Maires et les Préfets, une harangue en bouche, comme pour la Royauté. Madame de Bargeton, venue à une redoute offerte par un régiment à la ville, s’éprit d’un gentilhomme, simple sous-lieutenant à qui le rusé Napoléon avait montré le bâton de maréchal de France. Cette passion contenue, noble, grande, et qui contrastait avec les passions alors si facilement nouées et dénouées, fut chastement consacrée par la main de la mort. À Wagram, un boulet de canon écrasa sur le cœur du marquis de Cante-Croix le seul portrait qui attestât la beauté de madame de Bargeton. Elle pleura long-temps ce beau jeune homme, qui en deux campagnes était devenu colonel, échauffé par la gloire, par l’amour, et qui mettait une lettre de Naïs au-dessus des distinctions impériales. La douleur jeta sur la figure de cette femme un voile de tristesse. Ce nuage ne se dissipa qu’à l’âge terrible où la femme commence à regretter ses belles années passées sans qu’elle en ait joui, où elle voit ses roses se faner, où les désirs d’amour renaissent avec l’envie de prolonger les derniers sourires de la jeunesse. Toutes ses supériorités firent plaie dans son âme au moment où le froid de la province la saisit. Comme l’hermine, elle serait morte de chagrin si, par hasard, elle se fût souillée au contact d’hommes qui ne pensaient qu’à jouer quelques sous le soir, après avoir bien dîné. Sa fierté la préserva des tristes amours de la province. Entre la nullité des hommes qui l’entouraient et le néant, une femme si supérieure dut préférer le néant. Le mariage et le monde furent donc pour elle un monastère. Elle vécut par la poésie, comme la carmélite vit par la religion. Les ouvrages des illustres étrangers jusqu’alors inconnus qui se publièrent de 1815 à 1821, les grands traités de monsieur de Bonald et ceux de mon-