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deux vastes appétits des deux natures, est aussi rare, dans le sexe, que le grand général, le grand écrivain, le grand artiste, le grand inventeur, le sont dans une nation. L’homme supérieur comme l’imbécile, un Hulot comme un Crevel, ressentent également le besoin de l’idéal et celui du plaisir ; tous vont cherchant ce mystérieux androgyne, cette rareté, qui, la plupart du temps, se trouve être un ouvrage en deux volumes. Cette recherche est une dépravation due à la société. Certes, le mariage doit être accepté comme une tâche, il est la vie avec ses travaux et ses durs sacrifices également faits des deux côtés. Les libertins, ces chercheurs de trésors, sont aussi coupables que d’autres malfaiteurs plus sévèrement punis qu’eux. Cette réflexion n’est pas un placage de morale, elle donne la raison de bien des malheurs incompris. Cette Scène porte d’ailleurs avec elle ses moralités qui sont de plus d’un genre.

Le baron alla promptement chez le maréchal prince de Wissembourg, dont la haute protection était sa dernière ressource. Protégé par le vieux guerrier depuis trente-cinq ans, il avait les entrées grandes et petites, il put pénétrer dans les appartements à l’heure du lever.

— Eh ! bonjour, mon cher Hector, dit ce grand et bon capitaine. Qu’avez-vous ? vous paraissez soucieux. La session est finie, cependant. Encore une de passée ! je parle de cela maintenant, comme autrefois de nos campagnes. Je crois, ma foi, que les journaux appellent aussi les sessions, des campagnes parlementaires.

— Nous avons eu du mal, en effet, maréchal ; mais c’est la misère du temps ! dit Hulot. Que voulez-vous ? le monde est ainsi fait. Chaque époque a ses inconvénients. Le plus grand malheur de l’an 1841, c’est que ni la royauté ni les ministres ne sont libres dans leur action comme l’était l’Empereur.

Le maréchal jeta sur Hulot un de ces regards d’aigle dont la fierté, la lucidité, la perspicacité montraient que, malgré les années, cette grande âme restait toujours ferme et vigoureuse.

— Tu veux quelque chose de moi ? dit-il en prenant un air enjoué.

— Je me trouve dans la nécessité de vous demander, comme une grâce personnelle, la promotion d’un de mes sous-chefs au grade de Chef de bureau, et sa nomination d’officier dans la Légion…

— Comment se nomme-t-il ? dit le maréchal en lançant au baron un regard qui fut comme un éclair.

— Marneffe !