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pris tard, mais ça me tient… et je viendrai voir si vous êtes parti.

— Nous avons à causer d’affaires, mais je ne resterai pas longtemps, dit Crevel.

— Parlez bas ! — que me voulez-vous ? dit Valérie sur deux tons en regardant Crevel avec un air où la hauteur se mêlait au mépris.

En recevant ce regard hautain, Crevel, qui rendait d’immenses services à Valérie et qui voulait s’en targuer, redevint humble et soumis.

— Ce Brésilien…

Crevel, épouvanté par le regard fixe et méprisant de Valérie, s’arrêta.

— Après ?… dit-elle.

— Ce cousin…

— Ce n’est pas mon cousin, reprit-elle. C’est mon cousin pour le monde et pour monsieur Marneffe. Ce serait mon amant, que vous n’auriez pas un mot à dire. Un boutiquier qui achète une femme pour se venger d’un homme est au-dessous, dans mon estime, de celui qui l’achète par amour. Vous n’étiez pas épris de moi, vous avez vu en moi la maîtresse de monsieur Hulot, et vous m’avez acquise comme on achète un pistolet pour tuer son adversaire. J’avais faim, j’ai consenti !

— Vous n’avez pas exécuté le marché, répondit Crevel redevenant commerçant.

— Ah ! vous voulez que le baron Hulot sache bien que vous lui prenez sa maîtresse, pour avoir votre revanche de l’enlèvement de Josépha… Rien ne me prouve mieux votre bassesse. Vous dites aimer une femme, vous la traitez de duchesse, et vous voulez la déshonorer ? Tenez, mon cher, vous avez raison : cette femme ne vaut pas Josépha. Cette demoiselle a le courage de son infamie, tandis que moi je suis une hypocrite qui devrais être fouettée en place publique. Hélas ! Josépha se protége par son talent et par sa fortune. Mon seul rempart, à moi, c’est mon honnêteté ; je suis encore une digne et vertueuse bourgeoise ; mais si vous faites un éclat, que deviendrai-je ? Si j’avais la fortune, encore passe ! Mais j’ai maintenant tout au plus quinze mille francs de rente, n’est-ce pas ?

— Beaucoup plus, dit Crevel ; je vous ai doublé depuis deux mois vos économies dans l’Orléans.