Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idée exacte de la physionomie de Séverine Grévin. C’était la même richesse de formes, la même beauté de visage, la même netteté de contours ; mais la femme du bonnetier avait une petite taille qui lui ôtait cette grâce noble, cette coquetterie à la Sévigné par lesquelles la grande actrice se recommande au souvenir des hommes qui ont vu l’Empire et la Restauration.

La vie de province et la mise un peu négligée à laquelle Séverine se laissait aller, depuis dix ans, donnait je ne sais quoi de commun à ce beau profil, à ces beaux traits, et l’embonpoint avait détruit ce corps, si magnifique pendant les douze premières années de mariage. Mais Séverine rachetait ces imperfections par un regard souverain, superbe, impérieux, et par une certaine attitude de tête pleine de fierté. Ses cheveux encore noirs, longs et fournis, relevés en hautes tresses sur la tête, lui prêtaient un air jeune. Elle avait une poitrine et des épaules de neige, mais tout cela rebondi, plein, de manière à gêner le mouvement du col devenu trop court. Au bout de ses gros bras potelés pendait une jolie petite main trop grasse. Elle était enfin accablée de tant de vie et de santé, que par-dessus ses souliers, la chair, quoique contenue, formait un léger bourrelet. Deux anneaux de nuit, d’une valeur de mille écus chaque, ornaient ses oreilles. Elle portait un bonnet de dentelles à nœuds roses, une robe-redingote en mousseline de laine à raies alternativement roses et gris de lin, bordée de lisérés verts, qui s’ouvrait par en bas pour laisser voir un jupon garni d’une petite valencienne, et un châle de cachemire vert à palmes dont la pointe traînait jusqu’à terre. Ses pieds ne paraissaient pas à l’aise dans ses brodequins de peau bronzée.

— Vous n’avez pas tellement faim, dit-elle en jetant les yeux sur Beauvisage, que vous ne puissiez attendre une demi-heure. Mon père a fini de dîner, et je ne peux pas manger en repos sans avoir su ce qu’il pense et si nous devons aller à Gondreville.

— Va, va, ma bonne ; je t’attendrai, dit le bonnetier.

— Mon Dieu, je ne vous déshabituerai donc jamais de me