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semblait depuis quelque temps se réveiller ; et en même temps que cette disposition morbide qui est volontiers celle des hommes d’État et des ambitieux pouvait déterminer chez lui une attraction plus vive vers les intérêts politiques, elle lui rendait, si l’on ose ainsi parler, la bouche moins sensible à la pression du mors conjugal. Du reste, le ridicule accès de jalousie auquel nous l’avons vu une fois se laisser emporter n’avait peut-être eu d’autre cause que cette sourde souffrance de l’organe entrepris, qui déjà étalait sur ses traits fatigués la jaune livrée de l’hépatite à l’état déclaré.

Monsieur de l’Estorade causa tant et si bien, qu’à la fin les salons se vidèrent, et qu’autour de sa femme et de madame de Rastignac finit par se grouper un petit cercle, composé tout entier d’intimes de la maison. Venant de reconduire le dernier de ses visiteurs, assez importants pour mériter cette attention, le ministre enleva, en passant, le président des comptes à l’étreinte, selon lui assez dangereuse, d’une espèce de baron wurtembergois, agent occulte d’une des puissances du Nord, qui, à l’aide de son baragouin et de sa brochette, savait s’approprier, touchant la fin des affaires, toujours un peu plus de renseignements qu’on n’entendait lui en confier.

Prenant familièrement par le bras le naïf monsieur de l’Estorade, qui se prêtait complaisamment aux filandreuses tirades d’outre-Rhin, avec lesquelles le diplomate marron avait soin de cotonner les curiosités qu’il n’osait pas présenter à cru :

— Ce n’est rien, vous savez, que cet homme, dit Rastignac, après que l’étranger lui eût adressé un salut de l’obséquiosité la plus humble.

— Il ne cause pas mal, pourtant, repartit monsieur de l’Estorade, n’était son maudit accent.

— Au contraire, reprit le ministre, c’est là sa force, comme celle de Nucingen, mon beau-père. Avec leur manière d’estropier le français et d’avoir toujours l’air de planer dans les nues, ces Allemands sont les plus habiles crocheteurs de secrets !