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dans le pays, ce qui n’est déjà pas une si mauvaise chance pour un candidat.

— Ah ! la question électorale, dit Jacques Bricheteau, nous la traiterons en venant demain matin verser dans vos mains le prix de la vente et régler vos honoraires.

Là-dessus on se sépara et nous rentrâmes à l’hôtel de la Poste, où, après avoir souhaité le bonsoir à mon père et à son porte-parole, je me retirai dans ma chambre pour causer avec toi.

À présent cette terrible idée qui, chassant pour moi le sommeil, m’a remis la plume à la main, il faut bien te la dire ; quoique maintenant m’en trouvant un peu distrait par les deux pages que je viens de t’écrire, je n’y trouve plus tout à fait la même évidence qu’il y a un moment.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que tout ce qui se passe depuis un an dans ma vie a quelque chose de prodigieusement romanesque. Tu me diras que l’aventure paraît être dans la logique courante de ma vie, que ma naissance, le hasard qui nous a rapprochés avec une conformité de destinées si singulière, mes rapports avec Marianina et ma belle gouvernante, mon histoire même avec madame de l’Estorade, semblent accuser pour moi l’étoile la plus chanceuse, et que c’est encore un de ses caprices auxquels je suis livré en cet instant.

Rien de plus juste ; mais si, dans le même moment, par l’influence de cette étoile, j’étais impliqué, à mon insu, dans quelque trame infernale et qu’on m’en fît le passif instrument !

Pour mettre un peu d’ordre dans mes idées, je commence par ce demi-million dépensé pour un intérêt, tu en conviendras, assez nébuleux ; celui de me rendre un jour le ministre possible de je ne sais quel pays imaginaire dont on me cache soigneusement le nom.

Et qui dépense pour moi ces sommes fabuleuses ? Est-ce un père, tendrement épris d’un enfant de l’amour ? Non, c’est un père qui me témoigne la plus grande froideur, qui s’endort pendant qu’on est occupé à me dresser, sous ses yeux, le bilan de notre mutuelle existence ; pour lequel, de