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épidémique et d’inoculer à tout venant ma fièvre jaune parlementaire, reviens au moins à la carrière des lettres où déjà tu avais marqué ta place, et demande à ton imagination de te faire oublier ton cœur qui te parle trop du passé.

Pour mon compte, je ferai autour de toi tout le bruit que je pourrai, et dût la continuation de notre correspondance prendre sur mon sommeil, pour te distraire bon gré mal gré, je te tiendrai avec soin au courant de toutes les péripéties du drame dans lequel je vais m’engager.

Arrivant à Paris sans logement arrêté d’avance, tu serais bien amical et bien l’homme du temps d’autrefois, si tu voulais prendre chez moi ton gîte, au lieu d’aller t’installer à Ville-d’Avray, dont je trouve le séjour mauvais et dangereux pour toi. Tu jugerais toi-même de ma belle gouvernante et verrais à quel point elle a été calomniée et méconnue. Tu serais aussi plus près de l’Estorade, dont j’attends pour toi de grandes consolations ; enfin ce serait là une charmante expiation de tous les torts involontaires que tu as pu avoir avec moi. À tout hasard, j’ai donné mes instructions en conséquence et ta chambre t’attend.

Le quartier perdu où je loge te sera une transition avec le Paris bruyant et infernal auquel je me doute bien que tu auras de la peine à te réhabituer. Je ne loge pas loin de cette rue d’Enfer où nous demeurions jadis de compagnie, et où nous avons eu de si bons moments. Que de rêves, que de projets alors, et combien peu la vie réelle en a ratifié ! Notre songe le plus habituel, c’était la gloire, et celui-là seul dont elle ait paru ne pas vouloir nous faire banqueroute, nous le désertons nous-mêmes : toi pour souffrir et pleurer, moi pour courir après une vaporeuse filiation dont je ne sais si j’aurai un jour beaucoup à me féliciter. Pendant que le flot toujours changeant de l’existence a tout emporté, nos digues, nos jardinets, nos rosiers en boutons, nos maisonnettes, une seule chose est restée à l’ancre : notre vieille et sainte amitié ; n’y fais plus d’avarie, je t’en conjure, mon cher enfant prodigue, et ne t’expose pas à te brouiller avec la cour du nord, dont je serai peut-être un jour le Suger ou le Sully.