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Eh bien ! cet homme, ce privilégié, comprend-on que je veuille l’être à mon tour et avec plus d’importance et d’autorité dans cette insolente chambre élective ? Cela n’est-il pas criant de fatuité et d’outrecuidance ? et dès lors voilà monsieur le comte furieux.

Ce n’est pas tout. Messieurs les hommes politiques patentés ont une marotte, celle d’avoir été initiés par une longue étude à une certaine science soi-disant ardue qu’ils appellent la science des affaires, et qu’eux seuls, comme les médecins la médecine, ont le droit de savoir et de pratiquer. Ils ne souffrent donc pas volontiers que, sans avoir pris ses licences, un faquin de premier venu, un journaliste, par exemple, moins que cela, un artiste, un tailleur d’images, ait la prétention de se glisser dans leur domaine et d’y prendre la parole à leur côté. Un poëte, un artiste, un écrivain, peuvent être doués de facultés éminentes, on veut bien en convenir ; le métier même de tous ces gens les suppose, mais ce ne sont pas des hommes d’État. Châteaubriand lui-même, quoique posé mieux qu’aucun d’entre nous pour se faire faire une place dans cet olympe gouvernemental, s’est vu néanmoins mis à la porte, et un matin, un petit billet très-concis, signé Joseph de Villèle, l’a renvoyé comme il convenait à René, Atala, et autres futilités littéraires.

Je sais bien que le temps et cette grande fille posthume de nous-mêmes que nous appelons la Postérité, finissent, en résultat, par faire bonne justice et par remettre chaque chose en son lieu. Vers l’an 2039, si le monde daigne durer jusque-là, on saura bien encore, je crois, ce qu’en 1839 étaient Canalis, Joseph Bridau, Daniel Darthez, Stidman et Léon de Lora ; tandis qu’un nombre infiniment petit de gens saura qu’à cette même époque, monsieur le comte de l’Estorade était pair de France et président de chambre à la cour des comptes ; monsieur le comte de Rastignac, ministre des travaux publics ; et monsieur le baron Martial de la Roche-Hugon, son beau-frère, diplomate et conseiller d’État en service plus ou moins extraordinaire.

Mais en attendant cette classification tardive et ce loin-