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Puisque depuis deux ans tu habites l’Italie, en visitant les villes les plus intéressantes, il me paraît très-inutile de t’expliquer ce que c’est que le fameux café Greco, rendez-vous ordinaire des élèves de l’Académie et des artistes de tous les pays pendant leur séjour à Rome.

À Paris, rue du Coq-Saint-Honoré, il existe un lointain équivalent de cette institution dans un café très-anciennement connu sous le nom de Café des Arts.

Deux ou trois fois par semaine je vais y passer une soirée. Là je retrouve plusieurs pensionnaires de Rome, mes contemporains. Eux-mêmes m’ont fait faire la connaissance de quelques journalistes et hommes de lettres, tous gens aimables et distingués, avec lesquels il y a profit et plaisir à échanger ses idées.

Dans un certain coin où nous nous groupons s’agitent et se débattent toutes les questions qui sont de nature à intéresser des esprits sérieux ; mais, intérêt plus vivant, la politique a surtout le privilège de passionner nos discussions.

Dans notre petit club, l’opinion démocratique est la tendance dominante : elle se trouve représentée dans ses nuances les plus diverses, l’utopie phalanstérienne comprise. C’est assez te dire qu’à ce tribunal la marche du gouvernement est souvent jugée avec sévérité, et que dans nos appréciations règne la liberté la plus illimitée de langage.

Il y a de cela un peu plus d’un an, le garçon qui seul est admis à l’honneur de nous servir me prit un jour à part, ayant, prétendait-il, à me donner un avis important.

— Vous êtes, monsieur, me dit-il, surveillé par la police, et vous feriez bien de ne pas toujours parler comme saint Paul, la bouche ouverte.

— La police ! mon pauvre ami, mais que diable surveillerait-elle ? Ce que je dis, et bien d’autres choses, s’impriment tous les matins dans les journaux.

— C’est égal, on vous guette. Je l’ai bien observé ; il y a un petit vieux qui prend beaucoup de tabac et qui se place toujours à portée de vous entendre ; quand vous parlez, il a l’air de prêter l’oreille avec bien plus d’attention que pour les autres, et même une fois je l’ai vu écrire quelque chose