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le banquier Torlonia, Dorlange eut une prétention, celle d’affecter à l’existence de Marie-Gaston, pendant les cinq années qu’allait durer leur séparation, les quinze cents francs qui lui étaient alloués comme pensionnaire du roi.

Mais le bon cœur qui sait recevoir est peut-être encore plus rare que le bon cœur qui sait donner. Ulcéré d’ailleurs de ses échecs continus, Marie-Gaston n’eut pas le courage du sacrifice qui lui était demandé. La dissolution de la société mettait trop à nu la situation d’obligé qu’il avait acceptée jusque-là. Quelques travaux que lui avait confiés Daniel Darthez, notre grand écrivain, joints à son petit avoir, devaient, dit-il, suffire à le faire vivre. Il refusa donc péremptoirement ce que son amour-propre lui faisait appeler une aumône. Cette fierté mal entendue amena une nuance de refroidissement entre les deux amis.

Jusqu’en 1833, leur intimité fut néanmoins entretenue par une correspondance assez active, mais du côté de Marie-Gaston la confiance et l’abandon n’étaient plus absolus.

Il avait à cacher quelque chose ; son orgueilleuse prétention de se suffire à lui-même avait été un dur mécompte. Chaque jour avait vu croître sa gêne, et sous les entraînements de cette détestable conseillère, il avait imprimé à sa vie une direction déplorable. Jouant le tout pour le tout, il avait essayé d’en finir avec cette incessante pression du besoin par laquelle son essor lui semblait paralysé. Imprudemment mêlé à une affaire de journal, pour s’y créer une situation prépondérante, il avait assumé sur lui presque toutes les charges de l’entreprise, et tombé sous le coup d’engagements qui n’allaient pas à moins de trente mille francs, déjà il pouvait entrevoir la prison de la dette ouvrant sa large gueule pour le dévorer.

Ce fut à ce moment qu’eut lieu sa rencontre avec Louise de Chaulieu.

Pendant neuf mois que dura la floraison de leur mariage, les lettres de Marie-Gaston allèrent de plus en plus s’espaçant ; et pas une, encore, qui ne fût entachée du crime de lèse-amitié ! Dorlange aurait dû être le premier à tout savoir, et rien ne lui était confié.