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larmes, dans un abîme de tristesse inconsolable. Ni la douleur de la mère pleurant sur son premier né, ni celle de l’amante au premier soir de son délaissement, ni celle de l’artiste s’éteignant avant son œuvre achevée, ne peuvent donner une idée de la plainte amère de cette fille du ciel traîtreusement retenue au-delà de son temps, et demandant à se replonger dans le repos de l’infini. Personne, pas même l’homme qui conduisait l’archet sur la corde, n’aurait pu se rappeler une seule note de l’air que le violon de Tobias Guarnerius avait joué ; personne n’aurait pu dire si ce qu’il avait entendu était un chant mélodieux ou quelque merveilleuse histoire racontée par un poète sublime, et où aurait été résumé avec un art admirable le tableau de toutes les souffrances, de toutes les anxiétés, de toutes les tristesses de la vie, depuis le vague de la mélancolie qui regrette et désire sans but, jusqu’aux plus positifs et aux plus cruels mécomptes ; mais personne aussi n’aurait pu dire qu’en aucun temps et en aucun lieu de la terre, une harmonie aussi profondément émouvante fût parvenue à son oreille.

Aussitôt que le chant eut cessé, et quand chaque auditeur fut revenu de l’espèce d’extase et de contemplation