Page:Bally - Le Langage et la Vie, 1913.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culins. Notez que la distinction des genres est un luxe linguistique, sans relation avec la logique ; il n’y a aucune raison pour que table soit du féminin plutôt que du masculin ; le soleil est masculin en français et féminin en allemand ; pour la lune c’est le contraire. L’anglais ne distingue pas les genres et il ne s’en porte pas plus mal ; on sait que les langues internationales abandonnent également cette distinction, jugée inutile. Et voilà à quoi servent les articles en français moderne !

Le français pourra les recréer, s’il continue à en sentir le besoin ; mais il pourra aussi en perdre l’habitude. L’arabe avait, comme lui, ses deux articles : il n’a gardé que le défini ; ce qui correspondait à l’autre (la nounification) n’a plus qu’une valeur orthographique. Si d’ailleurs le français se refait ses articles, il faudra peut-être plusieurs siècles pour cela (combien de temps n’a-t-il pas fallu pour que le lat. ille devienne l’article le !) ; n’assistons-nous pas ici, comme dans tant d’autres cas, à un véritable travail de Sisyphe, à une patiente restauration des ruines accumulées par les changements phonétiques ? Quel loisir reste-t-il à la langue pour des progrès définitifs ?