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finales, l’article est employé de plus en plus à une fonction de première nécessité, mais pour laquelle il n’avait pas été créé : la distinction du singulier et du pluriel. Dans l’immense majorité des cas, le français ne peut la faire que par l’article. Par eux-mêmes, des mots tels que table, chaise, homme, femme, route, arbre, âme, etc., ne portent pas en eux la marque du nombre, car l’-s du pluriel s’est amuï et (abstraction faite, bien entendu, de l’orthographe) ne se reconnaît plus que dans quelques liaisons (hommes intelligents, femmes aimables), qui tendent à disparaître et sont par nature d’un emploi restreint. C’est donc à l’article que la langue recourt pour faire cette distinction, à laquelle il ne contribuait autrefois que par surcroît (vieux fr. la table, les tables avec s prononcés), mais qui, aujourd’hui, lui incombe entièrement (la table, les tables ; une table, des tables) ; il s’ensuit que les articles s’agglutinent de plus en plus aux substantifs (les hommes) ou aux groupes substantifs (les grands hommes). Comme il a été dit plus haut à propos du futur, il pourrait bien résulter un jour de cette agglutination un préfixe grammatical désignant le nombre. Par quoi marquera-t-on, à ce moment, les déterminations exprimées par l’article ? Sans