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indéfini et partitif (français le pain, un pain, du pain), sont des conquêtes de l’intelligence. Les Russes disent : Chien bon animal, Chien ami d’homme, de sorte que, en dehors d’un contexte déterminé, on ne sait pas si l’on veut parler de tous les chiens ou seulement de Turc ou de Médor, si homme désigne l’humanité tout entière ou un individu particulier. Mais remarquons, entre parenthèses, que le latin s’est fort bien passé d’article et n’en reste pas moins un modèle de langue exacte, celle où le droit a reçu sa forme classique. Les Peaux-Rouges Dakotas se sont octroyé un article défini et un indéfini, tout comme le français ; pourtant les langues américaines ne passent pas pour des idiomes idéalement logiques et analytiques. Il est curieux aussi que le français ait créé ses articles à une époque de demi-barbarie, où les fines nuances d’idées n’étaient guère à l’ordre du jour. Mais concédons le caractère logique de l’article et posons-nous une question d’un autre genre : puisque le français s’est donné un article défini et un indéfini, ces signes grammaticaux conserveront-ils leur valeur ? Les grammaires continuent à nous le faire croire, mais la réalité actuelle ne paraît pas leur donner entièrement raison. Par suite de changements phonétiques affectant les